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Caserne, 3 : L’Objecteur.

mercredi 16 juin 2021, par Robert Vigneau

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L’OBJECTEUR

A-t-il parcouru la colère
 
celui qui s’asseoit sur le sable,
 
celui qui a trouvé le droit
 
de se blottir et de se taire ?
 
Voici des villes et des lois
 
cadencées, le sommeil semblable
 
aux lames coulées au fourreau.
 
La chair de l’homme sent la rouille.
 
Le juste méconnait les mots.
 
Qui se souvient de la nuit franche,
 
ventre frileux de l’inconnu ?
 
Même la colère nous souille
 
car le courage mis à nu
 
se retourne à leur volonté.
 
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Une ombre coule de la branche
 
sur le soldat, dernier été.
 
Son épaule ne lève plus
 
le poids fringant des souvenirs ;
 
le désir déserte ses hanches.
 
Dérisoire lucidité,
 
la mort devient douce à tenir
 
- et tous les dieux y soient élus !
 
Lorsque furent franchies les faims,
 
lorsqu’il s’exila des fureurs,
 
sa force fut sans faille comme
 
l’eau et comme l’eau sans forme.
 
Il s’assoit, il se sait vainqueur,
 
l’ombre des armes dans les mains.
 
Il se souvient d’une hirondelle
 
prisonnière par jeu d’enfants.
 
Les mouches que nous lui cueillions
 
séchaient dans la cage près d’elle.
 
Un caillou était plus vivant
 
que cet oiseau privé d’essor.
 
Un matin nous ne retrouvâmes
 
qu’une froide crucifixion
 
plus noire et nue que dure lame
 
ô fascination de la mort !
 
Celui qui tient par le silence
 
la faiblesse aiguë des bourreaux
 
me comprenne, car je vous lance
 
le désespoir, clé des barreaux.

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IL, caserne, p. 39 du recueil IL, édité par Chambelland en 1963.

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A lire en archives du site, le récit de cet encasernement

sous le titre : Le Mois du lièvre.

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