Fernand Tourret

Merci à Didier Ard de présenter un poète déjà oublié.



PPhoto Pierre-Marc Richard

Quand Fernand Tourret apparaissait le matin en haut de l'escalier, mal rasé, le plus souvent en blouse d'artisan, parfois coiffé d'un fin bonnet de nuit, les yeux vifs derrière d'antiques lunettes chinées dans les tiroirs d'un brocanteur et brandissant quelque insolite ouvrage, compagnon de son insomnie, nul doute que c'était lui le doyen de l'éphémère " groupe de Bassac ". Jean-Paul Louis et Edmond Thomas étaient venus de Paris habiter ce village tout près de Jarnac où Boujut entretenait les derniers feux de sa Tour. Jean le Mauve n'allait pas tarder à acheter une maison en Charente. A partir de 1971, des milliers de plaquettes et de revues allaient sortir d'une simple ronéo.J'étais le cadet du groupe qui rassemblait aussi Laurent Grisel, Jean-Louis Cordebard, Henri Simon Faure, Pierre Chabert, Pierre Boujut et quelques autres. Cinquante quatre ans me séparaient de Tourret.
Je découvrais le beau poème maritime Figurine à mettre en carafe, un des premiers recueils imprimés à Bassac, tiré à 50 exemplaires.


En mil-neuf-cent-dix-neuf, un jour, sur le matin,
Je fis tourner le pont de Recouvrance de mes mains,
Avec sept autres marins,
Un quartier-maître mocot qui ne faisait rien ;
Autant sur l'autre pile du pont tournant
Faisaient tourner l'autre partie du monument,

C'était pour qu'on laisse entrer au fond de l'arsenal
Le " d'Entrécasteaux " qui revenait fourbu comme un cheval,
De loin, prendre ses invalides après un long turbin.
Il avait toute sa mâture, trois phares brassé carré,
Qui dépassait très haut le plat du tablier.
On aurait pu sans doute, affaler les hauts mâts
Mais lorsqu'un bateau vient pour la première fois
Dans l'arsenal, il garde son gréement, et il entre tout droit,
Comme un qu'on va fusiller,
Un qu'on va décorer, un qu'on renvoie dans ses foyers.
Alors on ouvre largement cette porte à deux battants
Sur laquelle passe la route de Trémignan.
(Autrement on fait le grand tour par Kérouman).
(...)

La même année Jean le Mauve allait composer à la main la lancinante Marmonne des cœurs timides :

Tant d'insapides dimanches
Sont passés à ne pas vivre en train,
Piétinant corps penché au jardin,
Que nous allons vaille que vaille
Sarclant et ressassant, de cet entrain futile
Au même arpent d'ombre trouée comme une loque.

Ce courage qu'au sommeil
La nuit a économisé
Va trouver opportun
Pour marcher sur les brisées
Du sauvagin que le jour a chassé.
Le chien du pauvre s'en souvient
Que telle porte est fermée
Et ne s'ouvre qu'à certains.
(...)


Une bonne partie de l'œuvre poétique de Tourret est célébration des gens de peu, des gens simples des terroirs oubliés, des obscurs. Il met des mots sur ce qui meut leurs corps et leurs cœurs, depuis la nuit des temps. Comment aurait-il supporté notre époque obscène, lui qui aimait se définir " homme du XIXe siècle ", comme le rappelle son ami Edmond Thomas ?
De même qu'il aimait caresser un vieil outil, identifier une fleur de lys sur la pierre moussue d'une grange, il s'amusait à construire quantité de polyèdres absurdes, curieux aussi de toute plante, de tout animal, curieux de tout.
En effet il fut élève de l'école Supérieure d'Aéronautique, ouvrier, artisan, marin, chaufournier, émailleur, mécanicien, journaliste, producteur de radio, ingénieur, véritable érudit, aussi bien en ethnologie qu'en archéologie et il s'essaya à bien des techniques. C'était un anecdotier prodigieux. Un des piliers de la Tour de Feu où il se plut à ferrailler contre les ésotérismes tocs où à réhabiliter les rhapsodes, ce qui ne peut qu'enchanter le maître de ce site, (Retour à la rhapsodie) :

Le commissaire du peuple
A fait tirer sur le peuple
Qui était venu devant le palais du peuple
Réclamer du pain pour le peuple.
Le peuple en a assez de la dictature du peuple
Il veut le gouvernement du peuple
Par le peuple et pour le peuple.
Voilà ce que veut le peuple.
L'assemblée du peuple met en ligne l'armée du peuple,
Commandée par un héros du peuple, issu du peuple,
Se battre contre un peuple qui en veut au peuple.
La haine du peuple gronde dans les rangs du peuple,
Et gonfle la poitrine des ennemis du peuple.
(...)




Chez Edmond Thomas, 1972 : Jean-Paul Louis, Jean le Mauve, Edmond Thomas, Fernand Tourret, Didier Ard.

Si son écriture est classique et s'il se délecte de mots anciens, il ne craint pas de jouer sur les rythmes, à l'image de l'ancienne danse qu'il honore dans le titre de son recueil le plus accompli Branle des petits seigneurs du pays de Thelle dont est extrait le superbe et terrible poème qui suit. N'oublions pas Fernand Tourret du Vigier (1899-1988), il signait ainsi certains articles , " ce gentilhomme " selon son ami Jean Follain, dont la devise demeure " De cœurs entourés ".

Les dits du Germain Mougnot


Ne rien dire de soi.


Vis qu'on t'oublie.
Lors, ce que tu seras
Toi seul tu le sauras
Plus n'inquiéteras personne;
Mais à jouir à plein
Du mince bien, tant que l'écuelle
Tu pourras tenir dans ta main
Remplir le soir et le matin
Au gré de ta faim,
Ton cœur chantera ta gloire
Car c'est la joie la plus rare
D'être l'homme qu'on n'envie pas.
Vis qu'on t'oublie… Vis qu'on t'oublie.

Vis qu'on t'oublie.
Les vivants te pèlent d'avance
Dans leurs lits d'impatiences
Rêvent de te prendre ceci cela
Qu'ils ont choisi dans les visites
Fardées de civilité, d'amitié.
Au dormir se crispe parfois
La mandibule mâchelière
Cmme pince à casser les noix
Les vieux ont âpreté aux biens
Jusqu'au tout près de la fin
Gardent tremblement des doigts
De savoir ce qui est tien,
Tu l'auras montré une fois,
Et qu'ils n'ont pas dans leur bien.
Vis qu'on t'oublie… Vis qu'on t'oublie.

Vis qu'on t'oublie.
Tu fais petit feu de branches
N'y mets pas du vert en défiance
Mais cotret sec et bien brûlant
Qui ne dit rien aux parages.
La cheminée trop souvent
Trahit l'âtre et dit aux gens
Qu'on y met bonne bourrée
Pour marmite mitonnée
Où se cuit lente, imprégnée
Quelque viande bien saucée.
Vis qu'on t'oublie… Vis qu'on t'oublie.

Vis qu'on t'oublie.
Les morts t'appellent
"Eh! Toi, là-haut, quand viens-tu?"
Malgré qu'ils soient, qu'on croit, muets.
Profond là-bas sous les tertres
Il t'envient d'être encore en vie
Te tirent la nuit vers le bas
Te hèlent par les trous des vers…
"Viens te coucher là tout auprès
Nous sommes bien sous le pré frais."
Vis qu'on t'oublie… Vis qu'on t'oublie.


1972. Jean le Mauve, Didier ard, Jacqueline Louis, Fernand Tourret.

De Fernand Tourret :

Pariétales, La Tour de Feu, 1960.
L'outil, dialogue de l'homme avec la matière (avec Paul Feller), De Wysscher, 1969. Plusieurs rééditions.
De cœurs entourés (témoignages et anthologie), La Tour de Feu n° 108, 1970.
Théorie de la lune, Plein Chant, 1971.
Figurine à mettre en carafe, Plein Chant, 1972.
Marmonne des cœurs timides, L'Arbre, 1972.
Bestiaire marginal, L'Arbre 1973.
Clefs pour la franc-maçonnerie, Seghers, 1975.
Branle des petits seigneurs du Pays de Thelle, Plein Chant, 1981.
Vis qu'on t'oublie, L'impatiente, 1994.
Le sang du rat, L'impatiente, 1994.

Seul le Branle des petits seigneurs… est disponible chez Plein Chant. Le lecteur curieux pourra trouver facilement d'occasion le très beau livre L'outil, glaner des poèmes dans La Tour de Feu, Le lérot rêveur, Plein Chant, l'Arbre, Preuves…dénicher des textes scientifiques ou folkloriques au hasard des chines et lire le beau témoignage de son ami Pierre Chaleix dans le numéro 150, l'ultime, de la TdF.