Accueil > Proses > Le Nbi’nbilof

Le Nbi’nbilof

mercredi 29 décembre 2021, par Robert Vigneau

Le nbi’nbilof

Il s’agit d’un arbre migrateur. Il ressemble assez au palétuvier mais en plus majestueux. Il croît entre les méandres du fleuve Rockel, dans ces marécages du Poutou-poutou où se cachent des chasseurs.

Lorsque le fleuve entre en crue, au début de la saison humide, le nbi’nbilof pousse ses racines dans le sol ameublie par l’inondation et s’éloigne lentement vers les hauteurs. Il amorcera sa descente en sens inverse à la fin de la saison des pluies, suivant les eaux qui baissent à l’étiage. Ainsi dans une année, un nbi’nbilof parvient à parcourir environ huit cents mètres aller-retour. Il se déplace généralement trop lentement pour qu’on perçoive son mouvement à l’œil nu. Les oiseaux nicheurs eux-mêmes s’y trompent.

Le chercheur américain Mohamed Nozawa a mesuré la migration d’un spécimen installé en terrain marneux sur une rive plate, facilement inondable dans la cuvette de Poutou-poutou, en aval de Mbagbowaka. Cet arbre a parcouru 833 mètres en 21 jours lors de la migration de crue et en 26 jours en migration d’étiage. En vitesse de croisière sous la pluie, cet arbre progressait de 2m41 à l’heure ! Le même chercheur a aussi démontré que le nbi’nbilof revient toujours exactement à ses emplacements d’origine et que, lors de ses déplacements, il prend des routes strictement identiques : en l’occurrence, chez ce végétal, il s’agit donc bien d’une migration telle qu’on la définit habituellement pour les oiseaux et autres espèces animales.

Il existe des nbi’nbilofs mâles et des nbi’nbilofs femelles mais en dépit de leurs talents voyageurs, ils ne se rencontrent jamais. Aussi se servent-ils de guêpes et de papillons pour se reproduire. Les mâles portent les nids de guêpes, les femelles les chrysalides de papillons. Ils laissent à ces insectes, tout le soin de mettre en œuvre l’engendrement. On ne sait s’il en tirent du plaisir et basta sur cette question puisque finalement le nbi’nbilof ne produit que des fruits stériles.

Ces petites figues, charnues, d’un joli rose pâle, ne portent ni graine ni pépin susceptibles de donner naissance à de jeunes plants. Pour leur reproduction, les nbi’nbilofs dépendent donc des vents et surtout de la foudre. Les tornades font tomber des branches assez vigoureuses pour s’enraciner dans la boue du rivage avant de s’établir, lors d’une migration saisonnière à leur emplacement adulte.
Le nbi’nbilof, pourquoi existe-t-il ? Cet arbre ne sert à rien. Du moins, les indigènes du Poutou-poutou, fort ingénieux pourtant, n’ont rien su en tirer : ni boisson fermentée de ses figues amères, ni combustible ou matériau de construction de son bois rebelle et tourmenté, ni vertu médicinale de ses feuilles rondes et coupantes. Même pas des paniers de son écorce trop friable. Les singes boudent ses fruits, tout juste bons à se laisser ronger par les vers qui donneront les papillons nécessaires aux fécondations de leurs fleurs stériles.
Toutefois, les indigènes croient que l’ombre du nbi’nbilof attire les crocodiles. Cette légende sans fondement repose sur une simple constatation : le saurien partage avec ce seul arbre le même biotope. Les indigènes prennent donc bien soin de s’écarter de son chemin et en ce sens, en effet, le nbi’nbilof se révèle utile.
Ce végétal singulier demeure mal connu. Que mange-t-il ? Quand dort-il ? A-t-il envie de revoir Paris ? Congés payés à la mer ou à la montagne ? Et l’angoisse ? Et son opinion sur Mozart ? Le marxisme-léninisme quand on le chatouille ? Éprouve-t-il la vanité du monde : tout confine à la vanité , y compris le sentiment de cette vanité même !

Vraiment, un abîme d’interrogations sans réponses, le nbi’nbilof.